L' empire de la censure réagit aux Twitter Files
Tour d’horizon sur les auditions devant la chambre des représentants sur les Twitter Files et le "Censorship Industrial Complex"
Alors que les médias oligarchiques français persévèrent dans leur grave faute professionnelle en passant sous silence les révélations très importantes des Twitter Files, de nouveaux développements sont récemment survenus aux Etats Unis. Comme annoncé par Matt Taibbi, de nouvelles livraisons de révélations sont parues qui font la lumière sur le réseau d’agences fédérales, et d’entités à but non lucratif destinataires de fonds public constituant ce que Michael Shellenberger nomme le « Censorship Industrial Complex ». En outre, Matt Taibbi et Michael Shellenberger ont été entendus sur les Twitter Files la semaine dernière devant la commission spéciale de la chambre des représentants concernant la « militarisation du gouvernement » (Government Weaponization) contre sa propre population.
Avant de commenter l’audience devant la commission spéciale de la Chambre des représentants, j’ai traduit intégralement les propos introductifs de Matt Taibbi qui résument admirablement les enjeux fondamentaux au cœur des Twitter Files.
Propos introductifs de Matt Taibbi, audience du 9 mars 2023
Président Jordan, vice-président Plaskett, membres de la commission,
Mon nom est Matt Taibbi. Je suis journaliste depuis trente ans, et je suis un ardent militant en faveur des droits garantis par le Premier Amendement. J’ai consacré l’essentiel de ma carrière à écrire pour le magazine Rolling Stone. Au cours de cette carrière, j’ai eu l’insigne honneur d’être reconnu pour mon ardeur à la tâche dans l’accomplissement de mon métier. J’ai été récompensé par le prix du Magazine National (National Magazine Award), le prix I.F. Stone récompensant le journalisme indépendant, et je suis l’auteur de dix ouvrages, incluant quatre bestsellers figurant sur la liste du New York Times. Je suis à présent le rédacteur en chef du magazine en ligne Racket News, hébergé sur la plateforme indépendante Substack.
Je suis devant vous aujourd’hui en raison d’une série d’évènements dont l’origine remonte à la fin de l’année dernière, lorsque j’ai reçu un message d’une source en ligne.
Ce message contenait les propos suivants : « Seriez-vous intéressé pour faire une plongée en eaux profondes dans la censure, les manipulations… qui avaient lieu au sein de Twitter ? »
Une semaine plus tard, la première livraison de ce qui devait devenir les « Twitter Files » était publiée. Ce serait un euphémisme que de prétendre que ces révélations n’ont pas suscité un intérêt massif de la part du public. Mon ordinateur ressemblait à une machine à sous lorsque mon premier tweet au sujet de l’obstruction de l’affaire de l’ordinateur portable de Hunter Biden enregistrait 143 millions d’impressions et 30 millions d’interactions.
Mais ce n’est qu’une semaine après, lorsque j’ai été rejoint par Michael Shellenberger, Bari Weiss, et d’autres analystes pour traiter les recherches dans les « Dossiers », que j’ai véritablement pris la mesure de l’importance de cette affaire.
A l’origine, Internet contenait une promesse de démocratisation des échanges d’information à une échelle mondiale. Un internet libre était censé faire échec à toute tentative de contrôle des flux d’information. En essence, Internet représentait un défi universel aux formes anti-démocratiques de gouvernements.
Ce que nous avons découvert dans ces « Dossiers » est un effort radical de renverser cette promesse, et d’utiliser l’apprentissage machine (machine learning) et autres outils pour transformer l’internet en un outil de censure et de contrôle social. Hélas, il apparaît que notre propre gouvernement occupait le rôle principal dans ce drame.
Les premiers indices de ce rôle central du gouvernement sont apparus dans les communications internes entre dirigeants de Twitter avant les élections de 2020, lorsqu’on pouvait lire des phrases comme celle-ci :
Hello les équipes, pouvons-nous avoir une opinion là-dessus ? Ca a été signalé (flagged) par DHS (NdT : Department of Homeland Security).
Ou:
Ci-joint le rapport du FBI au sujet de potentielles mésinformations.
En pièces jointes à ces messages, figuraient des tableaux Excel comportant une longue liste de noms, dont les comptes devaient être suspendus peu de temps après.
Nous avons alors remonté les sentiers de communications entre Twitter et le gouvernement fédéral constitués par des dizaines de milliers d’emails, et nous avons publié le fruit de notre travail sous la forme d’une série de révélations. M. le président, nous avons résumé ces révélations, et les avons soumis à la commission sous la forme de nouveaux fils Twitter, que nous avons aussi rendu publics, sur Twitter, sur les comptes @ShellenbergerMD et @mtaibbi.
Nous avons appris que Twitter, Facebook, Google, et d’autres sociétés ont élaboré un système formel de traitement des « demandes » de modération émanant de tous les horizons du gouvernement, incluant le FBI, DHS, HHS (NdT U.S. Department of Health and Human Services), DOD (NdT Department of Defense), le Global Engagement Center, logé au sein du Département d’Etat, et même la CIA. Pour chaque agence gouvernementale passant Twitter au peigne fin, il existait sans doute 20 entités quasi-privées effectuant les même tâches. Ces entités incluaient, entre autres organisations recevant des fonds publics, le Stanford’s Election Integrity Project, Newsguard, le Global Disinformation Index.
Ce réseau en expansion rapide est tout entier occupé à la collecte de listes de personnes dont les opinions, les croyances, les associations, ou les sympathies sont jugées être de la « mésinformation», de la « désinformation » ou de la « malinformation ». Ce dernier terme est un euphémisme signifiant « vrai mais inconvénient ».
Sans l’ombre d’un doute, la préparation de telles listes est une forme de Maccarthisme numérique.
Non seulement, des américains ordinaires sont signalé à Twitter pour « désamplification », ou pour être déplateformés, mais ils sont aussi signalés à des entreprises comme PayPal, à des entreprises de publicité en ligne comme Xandr, et à des plateformes de financement participatif comme GoFundMe. Non seulement ces entreprises ont le pouvoir de refuser des services à des citoyens et des entreprises n’ayant jamais eu maille à partir avec l’application de la loi au motif d’un jugement à leur encontre rendu par un juge algorithmique distant, non identifiable et non redevable. Mais elles en ont usé sans vergogne.
En tant qu’individu élevé dans la tradition du libéralisme de l’ACLU (American Civil Liberties Union), ce mécanisme de châtiment sans aucune garantie procédurale est horrifiant.
Un autre aspect troublant est le rôle de la presse, qui devrait être la dernière ligne de défense du public.
Mais au lieu d’enquêter sur ces groupes, les journalistes sont entrés dans un partenariat avec eux. Si Twitter refusait de clôturer un compte immédiatement, les agences du gouvernement et les entités à but non lucratif faisant partie du réseau se plaignaient auprès des journalistes du New York Times, du Washington Post, et autres médias, lesquels faisaient pression sur Twitter afin de savoir pourquoi le réseau social avait refusé d’agir sur ces comptes signalés.
Il est ainsi apparu que les médias d’information étaient devenus une branche du système proto-gouvernemental de police de la pensée.
D’aucuns relevaient, “Et alors? Pourquoi devrions-nous censurer de la désinformation ? »
Le problème fondamental est qu’il n’est pas possible d’avoir un système agissant depuis l’Etat dont la mission est de cibler la « désinformation » sans toucher aux fondements du droit à la liberté d’expression. Les deux idées sont directement en conflit.
Un grand nombre de craintes à l’origine de ce que mon collègue Michael Shellenberger nomme le « Censorship-Industrial Complex » étaient déjà exprimées dans les infames lois “Alien and Sedition” de 1798. Ces textes avaient rendu illégal « tout écrit faux, scandaleux ou mal-intentionné envers le Congrès ou le président. »
Ce rappel nous place en terrain familier : les partisans de ces lois datant de plusieurs siècles avaient en effet la gâchette facile pour dénoncer les propos critiques sur Les Alien and Sedition Acts comme émanant de sympathisants d’une puissance étrangère hostile. A cette époque, ladite puissance étrangère hostile était la France. Alexander Hamilton avait coutume de dénoncer Thomas Jefferson et ses soutiens comme étant « plus français qu’américains ».
S’opposant avec véhémence à ces lois, Jefferson avait écrit que la démocratie ne pouvait survivre dans un pays où le pouvoir est confié à des gens « dont les soupçons sont traités comme des preuves ». Et Jefferson d’ajouter:
Ce serait une dangereuse illusion que de subordonner la garantie des droits fondamentaux à une confiance dans le choix de nos gouvernants à supprimer le libre débat en laissant libre cours à leurs craintes. Universellement, cette confiance est la mère du despotisme.
La mise en garde de Jefferson conserve tout son caractère d’actualité. Dans une société libre, on ne décrète pas la vérité, on la découvre au terme de discussions et de débats. Tout groupe qui prétend qu’on devrait lui faire « confiance » pour trier ce qui ressort des faits et de la fiction, tout particulièrement lorsque cette revendication est faite au nom de la protection de la démocratie, représente le véritable péril pour la démocratie.
C’est pourquoi “l’anti-désinformation” ne peut fonctionner. Un journaliste expérimenté sait pertinemment que les experts ont souvent d’emblée tort, et qu’ils ont parfois recours au mensonge. En fait, nous devrions percevoir un danger imminent lorsque l’opinion de l’élite est trop à l’unisson.
C’est ce que nous avons vu avec l’hypothèse de l’échappée du Virus du Covid du laboratoire de Wuhan. La plupart des institutions sur lesquelles nous enquêtons avaient initialement qualifié cette idée de « désinformation » et de théorie du complot. Or aujourd’hui, même le FBI semble prendre cette hypothèse au sérieux.
Il n’est pas possible de parvenir instantanément à la vérité. En revanche, il est devenu technologiquement possible de définir et de maintenir instantanément un consensus politique en ligne. Je crois que c’est ce que nous voyons apparaître ici.
Il s’agit d’un grave danger pour les individus de tous bords.
Pendant des centaines d’années, ce qui distinguait les américains des autres peuples du monde était la façon dont nous ne laissons personne,à commencer par le gouvernement, nous dire quoi penser.
Le Premier Amendement, et une population américaine habituée à s’exprimer librement, constitue la meilleure défense contre le Censorship-Industrial Complex. Si ce dernier parvient à anéantir notre plus importante garantie constitutionnelle, ces groupes n’auront plus nulle part aucun opposant sérieux en face d’eux.
S’il est une chose que révèlent les Twitter Files, c’est que nous sommes face au danger de perdre notre plus précieux droit, sans lequel la garantie des autres droits démocratiques devient impossible.
Merci de m’avoir donné l’occasion de comparaître devant vous, et je répondrai avec plaisir à toutes les questions de la commission.
Les Auditions du 9 mars ou l’exercice parodique du pouvoir
L’audition de Matt Taibbi et Michael Shellenberger, et tout particulièrement les questions des représentants démocrates, ressemblait à une parodie. La réaction était attendue, mais elle n’en n’était pas moins choquante. Et on peut tout de même se demander quelle mouche a piqué les stratégistes du parti démocrate pour aligner dans une commission spéciale un casting aussi médiocre, et dans un tel état d’impréparation.
Pour rendre compte de l’état hallucinatoire dans lequel cette audition pouvait plonger le spectateur, citons la description dantesque du scénariste et romancier libertaire CJ Hopkins :
Cela fait très longtemps que je ne me suis pas gavé de puissantes drogues hallucinogènes, mais ceci m’a rappelé un très mauvais trip au LSD, comme lorsque Satan en personne te parle au travers de ton écran de télévision. Je me trouvais devant mon poste, dans un bon trip, en regardant deux éminents journalistes qui avaient réalisé une enquête historique sur une affaire d’une extrême importance et avaient été invités pour en parler au Congrès, et tout d’un coup, l’hallucination a pris un tour ténébreux et est partie en vrille.
Stacey Plaskett, la vice-présidente de la sous-commission de la chambre des représentants sur les affaires judiciaires, a commencé à harceler, insulter, salir et provoquer Matt et Shellenberger comme une sorte de Joe McCarthy en jupons. Tremblante de haine, elle les a accusés d’être des membres d’une sorte d’escadron de la mort opérant depuis Twitter et de « représenter une menace directe à toute personne s’opposant à eux », et d’avoir terrorisé de façon stochastique Yoel Roth, l’ancien Tzar de la censure de Twitter, et de déchainer des passions « homophobe et antisémite » à son encontre. La bave aux lèvres, elle s’est ensuite lancée dans une diatribe furieuse sur les évènements du « 6 janvier » et « les menaces contre la démocratie » avant d’être rappelée à l’ordre par James Jordan, le président de la sous-commission. Et nous n’en étions encore qu’aux propos introductifs.
Les autres démocrates ont vite rejoint la meute, multipliant les brimades, les mensonges, les provocations, les ricanements et se comportant comme des inquisiteurs à quelque procès en sorcellerie mené dans un état de transe haineuse. Debbie Wasserman Schultz, qui, pour quelque raison inexplicable, continue à siéger au Congrès après avoir été contrainte de démissionner de ses fonctions de secrétaire générale du parti démocrate pour avoir truqué les élections [primaires] de 2016, s’est adonnée à un vrai numéro de cirque, sur fonds de photos de Joe Rogan (dont le podcast, The Joe Rogan Expérience, avec environ 11 millions d’auditeurs par podcast, est le podcast le plus populaire de la planète) etc. Sylvia Garcia, qui semblait être en état d’ébriété, exigeait que Matt révèle sa source, et, essuyant son refus, a essayé de façon répétée de le piéger avec la légèreté d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Colin Alred avait préparé une présentation Power-Point contenant les tweets antisémites de Kanye West, ceux d’abrutis pris au hasard sur Twitter, et impliquant les agents russes qui avaient conspiré contre lui personnellement, avant de sermoner Matt sur les « dangers contre la démocratie » et de le traiter de propagateur de « théories du complot ». Steven Lynch s’est complètement laissé aller dans le registre Mccarthiste en exigeant que les témoins affirment qu’ils « avaient foi dans les interférences russes dans les élections de 2016. »
Et ainsi de suite. Je vous ai dit que les choses sont parties en vrille. Dieu merci, ce n’était qu’une hallucination, et non une démonstration télévisée en direct de phénomènes dont j’avais précisément essayé de décrire l’émergence au cours des six dernières années, c’est-à-dire une nouvelle forme totalitaire de capitalisme global qui n’a plus besoin de prétendre défendre (ou respecter) nos « droits démocratiques », faute d’adversaires externes, et se sent les mains libres pour se transformer en une utopie quasi-orwellienne où toute forme de dissidence vis-à-vis de l’idéologie officielle peut (et doit) être délégitimée comme de la « désinformation », de la « mésinformation », ou même de la « malinformation », et où les marionnettes de l’oligarchie régnante n’ont plus la moindre retenue et se comportent comme des petits fascistes devant les caméras de télévision parce qu’ils savent qu’ils ont le pouvoir formidable de la machine du capitalisme global derrière eux. Se sentant ainsi couverts, ils peuvent ainsi proférer ouvertement (et éhontément) des mensonges gros comme des immeubles, que leurs partisans fanatiques répèteront à l’envi comme toute propagande qui leur est fournie sans préjudice de leur caractère mensonger ou absurde. Ils savent aussi que ces partisans fanatiques cracheront leur haine aveugle envers quiconque est désigné à leur vindicte et agiront comme une meute de bons fascistes.
Le spectacle tout entier mérite d’être regardé, mais pour les amateurs de parodie, je recommande tout particulièrement le spectaculaire moment OK Boomer de la représentante Sylvia Garcia, qui n’avait même pas pris la peine de se renseigner ou de lire les notes de ses sbires sur qui est Bari Weiss, ou ce qu’est la plateforme Substack.
Il se trouve que, quelques jours avant les auditions, les mêmes comiques troupiers qui se sont donnés en spectacle devant la chambre des représentants ont publié un rapport pour le moins bizarre, concernant une audition privée de deux lanceurs d’alertes du FBI, qui ont perdu leur emploi, et sont des témoins convoqués par la majorité républicaine devant la commission spéciale sur la militarisation (weaponization) du gouvernement fédéral contre sa population. Ceux-ci avaient eu l’outrecuidance de questionner les méthodes de plus en plus brutales du FBI dans les enquêtes concernant les évènements du Capitole du 6 janvier 2021, comme l’envoi de troupes d’intervention pour interroger des témoins non récalcitrants, assistés par des avocats et communiquant avec les autorités via leurs conseils, ou l’interrogation de témoins sans preuve de liens entre lesdits témoins et les évènements du 6 janvier. Il se trouve qu’un des deux agents, Steve Friend, avait donné une interview à Matt Taibbi.
Soulignant les similitudes entre le traitement des deux agents et celui que Michael Shellenberger et lui-même avaient reçu, Taibbi a publié un bref article sur son site Racket News, résumant admirablement les méthodes orthodoxes du parti démocrate dans l’exercice du pouvoir d’enquête parlementaire :
Le style des nouveaux démocrates opposés à la liberté d’expression est clair : définir tout critique du gouvernement comme n’ayant aucun intérêt ou qualité pour formuler des critiques, jeter le doute sur leurs précédentes opinions et associations, impliquer que la totalité de leurs croyances sont des théories du complot, définir leur manque de confiance dans le FBI comme des actes de trahison, et déclarer que leur motivation est l’appât du gain. Enfin, lorsque les personnes entendues invoquent leurs droits constitutionnels, préparer une note expliquant que leurs activités les placent dans une enclave non protégée par la Constitution.
Les mesures de rétorsions de la Federal Trade Commission contre le « nouveau » Twitter
Il est tout à fait intéressant que les auditions de Taibbi et Shellenberger, pendant lesquelles les deux journalistes ont été publiquement sommés de révéler leurs sources, soient intervenues au même moment où la Federal Trade Commission adressait à Twitter des demandes complètement exorbitantes, prétendument au nom de la protection du respect de la vie privée des utilisateurs et des employés de Twitter. Ces demandes sont si exorbitantes que la commission sur les affaires judiciaires de la Chambre des représentants a publié un rapport le 7 mars intitulé « Weaponization of the Federal Trade Commission : An Agency’s Overreach to Harrass Elon Musk’s Twitter » (militarisation de la FTC : Sur les actions exorbitantes de l’agence pour harceler Twitter). L’extrait suivant se suffit pour souligner le caractère exorbitant des demandes des demandes de la FTC et son instrumentalisation (weaponization) afin que le « Censorship Industrial Complex » regagne son contrôle sur le réseau social à l’oiseau bleu.
Le temporalité, le champ d’application et le fréquence des requêtes de la FTC auprès de Twitter suggère une motivation partisane à l’origine de ses actes. Lorsque Musk a pris des mesures pour réintroduire de la liberté d’expression dans Twitter, la FTC a très vite fait pleuvoir sur Twitter des demandes d’informations. Le fondement juridique putatif de ces multiples requêtes – qui inclut la surveillance des mesures de respect de la vie privée et la sécurité des données selon un accord amendé entre la société et le FTC 4 – ne suffit pas à justifier les agissements de la FTC. Un nombre important de requêtes de la FTC n’ont aucun rapport avec la protection de la vie privée. Par exemple, la FTC a demandé que Twitter lui fournisse, entre autres choses :
Les informations sur le travail de journalistes protégé par le Premier Amendement, y compris leur travail visant à exposer les abus par Big Tech et le gouvernement fédéral ;
Toutes les communications internes « concernant Elon Musk » pour la totalité du personnel de Twitter, incluant les communications envoyées ou reçues par Musk – sans restriction de type de contenu, depuis le jour de l’acquisition par Musk de la société ;
Les informations relatives à la vente par Twitter de ses « équipements de bureau »;
Toutes les raisons pour lesquelles Twitter a mis un terme aux fonctions de l’employé de Twitter et fonctionnaire du FBI Jim Baker ;
Toutes les communication expliquant quand Twitter a, « pour la première fois conçu le concept Twitter Blue », le nouveau compte vérifié facturé $8 par mois ;
Toutes informations, séparées par « département, division et/ou équipe », que le travail accompli par ces unités soit ou non en lien avec le respect de la vie privée ou la sécurité des données.
La commission ne remet nullement en cause le fait que la protection de la vie privée et de la sécurité des données sont des devoirs importants. En raison de l’accord entre la FTC et Twitter, la FTC a compétence pour suivre la façon dont Twitter protège les données personnelles de ses utilisateurs, comme leurs numéros de téléphone, et leurs adresses email. Mais en l’espèce, la FTC formule des demandes à l’encontre de Twitter qui n’ont aucun fondement rationnel les mettant en rapport avec les objectifs de protection de la vie privée de ses utilisateurs. Il n’existe aucune raison logique pour que la FTC, au motif de la protection du respect de la vie privée, ait besoin d’analyser toutes les décisions de Twitter concernant son personnel. Et il n’existe aucune raison logique pour que la FTC ait besoin de lire la totalité des communications interne à Twitter concernant Elon Musk.
Les comparaisons entre le « Censorship Industrial Complex » et la création de masse monétaire par la Federal Reserve Bank
Dans un éclair de génie au cours d’une conversation dans le podcast co-animé par Matt Taibbi et Walter Kirn, America This Week, ce dernier a fait une comparaison lumineuse entre le « Censorship Industrial Complex » qui opère depuis le cœur du gouvernement et le système de création monétaire autour de la Federal Reserve Bank.
Remarquant que le rôle du journalisme n’est plus de participer à la découverte de la vérité, mais de gérer le cycle de l’information, Kirn compare les médias mainstream aux grandes banques qui reçoivent directement de la monnaie de la Fed. Comme ces dernières, les médias mainstream sont alimentés par le gouvernement en ce que Kirn nomme « fiat information », ce qui peut se traduire par information fiduciaire. A l’instar des banques centrales, le gouvernement imprime de l’information et la dissémine à quelques institutions ayant ses faveurs, lesquelles sont en première ligne pour la recevoir avant de prêter cette information à d’autres institutions et réaliser ainsi des profits.
Et Kirn de poursuivre la comparaison. Nous nous trouvons, affirme-t-il, dans une crise de confiance vis-à-vis de cette information fiduciaire, et la seule façon dont le gouvernement peut se défendre – parce qu’en définitive, c’est la confiance qui donne sa valeur à la monnaie comme aux informations disséminées par les médias – est d’en imprimer encore davantage. Nous voici donc dans une situation d’inflation de l’impression d’information fiduciaire, expliquant pourquoi soudainement les médias mainstream commencent à imprimer des informations se rapprochant plus de la vérité concernant le Covid, après avoir menti éhontément pendant plusieurs années, par exemple au sujet de l’échappée du laboratoire de Wuhan. Il ne peut s’agir de l’entière vérité, surenchérit Kirn, puisque la raison d’être des médias n’est pas la découverte de la vérité, mais il faut écouler les immenses réserves de vérité au moins parcellaire et de secrets que les médias ont dans leurs coffres en les déversant sur le marché comme les banques centrales inondent les marchés de liquidités.
Fort de cette explication, Kirn s’est alors lancé dans une spéculation sur ce qui va arriver dans les semaines et les mois à venir. Après une récente inondation du marché de l’information avec des révélations presque véridiques sur le Covid, peut-être, soutient-il, allons-nous apprendre de ces médias que les élections de 2020 ont été volées, soulignant que nous sommes dans un phénomène où ce que les gens soupçonnent depuis longtemps peut être sans cesse confirmé par ceux qui gardent les secrets. La raison, explique Kirn, pour laquelle nous assistons à des révélations massives sur le Covid par les médias mainstream est que ces informations sont tout d’un coup devenues sans valeur puisque le Covid n’est plus la question centrale qui se pose dans nos sociétés. « Il y a une grande guerre qui fait rage, et nous avons des problèmes économiques, et des trains qui explosent et empoisonnent des villes entières, et ainsi de suite. Et c’est la vérité concernant ces questions qui nous importe le plus. Mais nous devons écouler les stocks. »
Poussant plus loin la comparaison, Matt Taibbi compare l’opération par laquelle le gouvernement et ses relais des médias mainstream disséminent soudainement de l’information en partie vraie dans le système à l’exercice d’équilibrage de la masse monétaire par les banques centrales. Transposé dans l’information, Taibbi explique le gouvernement et ses banques d’information doivent, si elles injectent des vérités dans le circuit, retirer au moins une partie des mensonges correspondants. En revanche, les médias ne peuvent pas tout à trac avouer que tout ce qu’ils ont raconté pendant trois ans était un tissu de mensonges, ce qui risque d’entraîner une inflation incontrôlable et une désertion de leurs investisseurs, voire leur remplacement par des nouveaux concurrents plus crédibles. Alors ils retirent quelques informations mensongères, comme la transmission à l’homme via un vecteur animal, et commencent à lever le voile sur les effets secondaires des vaccins. Comme les opérations à répétition de sauvetage des grandes banques, le but de l’opération est de préserver intact ce statut d’institution de faveur, qui reçoit en premier l’information de la source. Dans ce système, les Disinformation studies occupent un rôle de premier plan, en permettant à des médias qui ont inondé le marché d’informations mensongères de conserver leur statut d’institutions près de la source, voire de torpiller l’accès à leurs compétiteurs situés plus en aval à des budgets publicitaires.
Cet exercice de rééquilibrage pourrait être vital pour des institutions comme le Washington Post, sur lequel des rumeurs courent que Jeff Bezos souhaiterait s’en débarrasser. Sommes-nous sur le point d’assister à une crise financière dans les médias systémiques, se demande Kirn. A suivre…
La bataille de l’Amérique pour contrôler les esprits
La guerre de l’information était aussi au menu de l’excellente tribune de David Samuels dans Unherd, dont je reprends ici les grands traits.
De façon très didactique, Samuels retrace toutes les étapes depuis la guerre contre la terreur jusqu’à la consternante situation actuelle.
Samuels trouve l’origine de la pente vers le « Censorship Industrial Complex » dans une tribune de Richard Holbrooke, alors le doyen du corps diplomatique américain, après le 11 septembre. Comment se fait-il, se lamentait Holbrooke, qu’un homme dans une caverne puisse avoir l’avantage en termes de communication sur les sociétés de communication les plus avancées ? Pour contrer cet avantage, Holbrooke recommandait la création d’une institution centrale opérant depuis la Maison Blanche qui combinerait les pouvoirs du Département d’Etat, du Pentagone, du Département de la Justice, de la CIA et d’autres agences gouvernementales afin d’imposer au monde les interprétations préférées par l’Amérique de la réalité du monde. En d’autres termes, le champ de bataille décisif, selon Holbrooke, de ce qui devait devenir la guerre globale contre la terreur, ne se trouvait pas dans des lieux précis comme l’Afghanistan ou l’Irak, mais dans les esprits des musulmans ordinaires.
C’est sous l’administration Obama, alors que les troupes américaines se retiraient progressivement des champs de bataille localisés de la guerre contre la terreur, que les « Information Operations » ont connu un très profond regain d’intérêt, au motif que les nouvelles configurations des médias avantageraient des acteurs non-étatiques, comme les milices insurrectionnelles ou les groupes terroristes. Il s’en est suivi un très profond changement dans les pratiques de la National Surveillance Agency, pour lesquelles l’espionnage des activités de citoyens américains ordinaires était un tabou. En effet, comme l’a révélé au monde Edward Snowden, la NSA s’est mise à espionner le monde entier, et surtout la population américaine, sans vergogne et sans aucun contrôle.
Ces révélations n’ont cependant pas tempéré l’ardeur de l’administration Obama qui a alors dirigé son attention vers les grandes entreprises de la Silicon Valley, qui permettraient, mises sous pression, d’espionner les américains pour le compte du gouvernement, sans être embarrassé par la pesanteur règlementaire et juridique des moyens “in-house”. Mais les entreprises de la Silicon Valley ont commencé par faire de la résistance. Ainsi, Twitter a intenté une action en justice en 2014 contre le Département de la Justice et le FBI après avoir été signifié un mandat de production de données FISA (Foreign Intelligence Surveillance Act) visant à collecter les communications électroniques de ses utilisateurs. Dans le cadre de cette action, pour laquelle Twitter était représenté par le cabinet d’avocats Perkins Coie, très proche du parti démocrate, Twitter demandait l’autorisation de publier un rapport contenant le nombre précis de mandats FISA reçus. La requête de publication a été refusée par le directeur juridique du FBI James Baker, celui-là même qui a été licencié de Twitter par Elon Musk à la fin de l’année dernière.
Un pas de géant a été franchi à la fin de l’administration Obama avec le Russiagate, dont le principe opératoire est simple : en identifiant Trump comme une extension de Poutine, la théorie derrière le Russiagate transformait ainsi très clairement une menace étrangère en une menace interne, justifiant une guerre sans merci de tout l’establishment washingtonien contre un président perçu par beaucoup comme un fou dangereux.
De façon intéressante, relate Samuels, l’origine du Russiagate remonte à l’engagement par Perkins Coie, engagé par la campagne d’Hillary Clinton, d’une société d’intelligence économique, Fusion GPS, afin de produire un dossier composé d’informations douteuses signé par un ancien espion britannique, Christopher Steele. Selon Samuels, Obama aurait même, avant de quitter ses fonctions, instruit son directeur de la CIA, John Brennan, de préparer une évaluation officielle assurant que les révélations contenues dans le dossier Steele étaient véridiques. Pour boucler la boucle et brouiller encore davantage la frontière entre les affaires étrangères et intérieures, Obama a alors signé le Countering Propaganda and Disinformation Act, dont la cible principale était Poutine et, par ricochet, Trump.
Dans cette nouvelle guerre contre la désinformation et la propagande, les agences fédérales ont continué, même sous Trump, à créer un arsenal de nouvelles organisations et de nouveaux programmes. Ainsi le FBI a -t-il créé, à l’automne 2017 une Foreign Influence Task Force, pendant que le Département de la sécurité intérieure créait la Cybersecurity and Infrastructure Security Agency (CISA), qui avait pour objet de fusionner les agences de renseignement américaines, les grandes entreprises de la Silicon Valley, des institutions de la société civile et des grands groupes de médias autour de la mission de sécurisation de l’environnement informationnel américain.
A cette fin, tout un réseau de partenariats public-privé s’est mis en place. Une des branches de ce réseau en matière électorale est constitué par le consortium Election Integrity Partnership (EIP), qui rassemble le Stanford Internet Observatory, le Center for an Informed Public de l’Université de l’Etat de Washington, le Digital Forensic Research Lab de l’Atlantic Council, et la société Graphica, située à Washington DC et formée par des anciens employés des agences de renseignement, qui conseille la commission sénatoriale sur le renseignement.
Lorsque ce réseau a été mis en place, et que Twitter, entre autres, a commencé à intégrer parmi son personnel de nombreux transfuges de la communauté du renseignement, comme James Baker, il est devenu impossible aux grands groupes de la Silicon Valley de résister à la pression du gouvernement. A cet égard, explique Samuels, le gouvernement usait de deux leviers de pression : le premier est celui de la possibilité de réguler les monopoles numériques d’entreprises comme Google, Facebook et Twitter, comme auparavant Microsoft avait été mis à genoux à la fin des années 1990. Le second était de taxer les grandes entreprises technologiques de menaces contre la sécurité nationale, avec de lourdes amendes à la clé. Un élément essentiel de l’arsenal du gouvernement est la fameuse section 230 du Communications Decency Act de 1996, conçu pour lutter contre la pédopornographie, qui exempte Google et Facebook d’actions en diffamation et autres délits de presse, contrairement à des groupes publiant des quotidiens, des magazines et autres contenus éditoriaux. Dans cette pression, un rôle clé a été joué par le Sénateur démocrate de Virginie Mark Warner, qui a, à plusieurs reprises, menacé de réformer la section 230 et de faire pleuvoir des sanctions motivées par des objectifs de protection de la sécurité nationale si les géants de la Silicon Valley ne devenaient pas plus réactifs aux demandes du parti démocrate concernant la suppression des contenus de désinformation et de propagande étrangère.
Devant cette double menace, ce qui manquait donc aux grands groupes de technologie était une autorité externe prenant des décisions éditoriales en leur lieu et place, d’une façon qui serait acceptable aux démocrates et aux fonctionnaires de l’appareil de sécurité nationale. Cette courroie de transmission est le fact checking, la seule profession en devenir dans les médias, qui ont perdu plus de 250000 employés entre 1990 et 2017, pendant que les sociétés spécialisées dans le fact checking sont passées de 44 à 341, ce qui permet au passage de transformer des journalistes, requérant un savoir-faire, par des bureaucrates vérificateurs, une tache qui ne requiert que de savoir lire, avant la remplacement de ceux-ci par du machine learning.
Un acteur central de la mise au pas des entreprises de la Technologie par le gouvernement par le truchement du Fact checking est le Fact Checking Network (IFCN) lancé en 2015 avec des fonds provenant du National Endowment for Democracy, le Omidyar Network, la Fondation Gates, et l’Open Society de George Soros. Quelques jours après l’élection de Trump, le IFCN a publié une lettre ouverte à Mark Zuckerberg, dont la société Facebook était accusée d’avoir couronné Trump en acceptant de publier des publicités associées à des intérêts russes pour un montant de $150.000, proposant de devenir le partenaire de choix de Facebook dans la lutte contre la désinformation.
La suite est connue : la répression massive pendant la crise du Covid de tout contenu critique vis-à-vis de l’orthodoxie covidienne (confinements, masques, vaccins), la suppression de l’affaire Hunter Biden. Et nous voici parvenus à un moment où nous avons tellement été abreuvés de mensonge et de propagande que, selon un récent sondage Gallup, seuls 16% des adultes américains ont une grande confiance dans les informations provenant des quotidiens, et 11% dans la télévision. Parmi les sympathisants républicains, 5% des personnes sondées font confiance aux journaux. Après tout, il se trouve, s’amuse Samuels, « que les américains ne sont pas plus sensibles à la militarisation de l’information sur la scène domestique que les musulmans du Moyen-Orient ne l’étaient il y a vingt ans. »
Et Samuels de conclure :
« Maintenant l’Amérique, tout comme l’Afghanistan et l’Irak, fait face au défi de devoir gouverner un pays dans lequel la confiance a été complètement éradiquée, et où tout ce qui reste est un paysage désolé d’opérations informationnelles menées par des tribus en guerre qui définissent leurs opposants comme des « insurgés » et des « terroristes ». Aucun de ces efforts visant à façonner la réalité ne contribue à la paix sociale aux Etats Unis, pas plus qu’ils n’ont apporté la paix et la démocratie au Moyen Orient. Vingt ans plus tard, il apparaît que la compréhension paradoxale de Ben Laden de la guerre asymétrique demeure juste : l’arme la plus puissante contre l’Occident est l’Occident. »